Parodontite et Alzheimer. Deux maladies que tout semble opposer : l’une touche les gencives, l’autre la mémoire. Pourtant, les scientifiques découvrent qu’un fil invisible les relie — un fil inflammatoire, discret, mais puissant.
« Nous avons identifié Porphyromonas gingivalis dans le cerveau de patients Alzheimer, ainsi que des enzymes neurotoxiques appelées gingipaïnes. »
— Dr Stephen Dominy, neurologue (Science Advances, 2019)
Cette étude, l’une des plus citées à ce jour, change notre regard sur la bouche. Et si l’inflammation chronique des gencives jouait un rôle dans le déclin cognitif ? Et si un simple brossage pouvait devenir un geste de prévention cérébrale ?
La parodontite : bien plus qu’un problème de gencives
La parodontite est une maladie inflammatoire chronique qui affecte les tissus de soutien des dents. Elle survient quand la plaque dentaire n’est pas correctement éliminée, favorisant la prolifération de bactéries pathogènes.
Avec le temps, l’inflammation détruit les gencives et l’os autour de la dent. Résultat : les dents se déchaussent et tombent.
Mais ce que l’on sait moins, c’est que cette inflammation ne reste pas confinée à la bouche.
« Les bactéries buccales peuvent migrer dans le sang, se fixer à d’autres organes, et provoquer des inflammations systémiques. »
— Dr Keiko Watanabe, Université de l’Illinois à Chicago (NeurologyLive, 2019)
Parmi ces bactéries, Porphyromonas gingivalis est particulièrement agressive. Elle produit des toxines, appelées gingipaïnes, qui altèrent les cellules, y compris celles du cerveau lorsqu’elles franchissent la barrière hémato-encéphalique.
La parodontite est donc bien plus qu’un trouble local : c’est un marqueur de risque inflammatoire général.
Les mécanismes inflammatoires en cause
Le lien entre parodontite et Alzheimer s’explique par une cascade inflammatoire déclenchée par les bactéries gingivales. En réponse à l’infection chronique, le corps libère des cytokines pro-inflammatoires, comme l’IL-6 ou le TNF-α.
Ces molécules circulent dans le sang. Et certaines parviennent à franchir la barrière hémato-encéphalique, cette frontière qui protège normalement notre cerveau des infections.
« L’inflammation est un élément central dans la pathogenèse de la maladie d’Alzheimer, avec des réponses immunitaires altérées observées dans le cerveau des patients. »
— Dr Elina Zotova, Université de Southampton (Alzheimer’s Research & Therapy, 2010)
Une fois dans le cerveau, ces signaux inflammatoires activent la microglie — les cellules immunitaires du cerveau. Suractivées, elles deviennent toxiques et contribuent à la mort neuronale, favorisant la formation de plaques amyloïdes et d’enchevêtrements neurofibrillaires.
Ce phénomène, appelé neuroinflammation, est aujourd’hui reconnu comme l’un des moteurs du déclin cognitif.
Les preuves s’accumulent : quand la science connecte gencives et cerveau
Les liens entre parodontite et Alzheimer ne relèvent plus d’une simple hypothèse. De nombreuses études internationales, bien documentées, renforcent aujourd’hui l’idée que les bactéries buccales peuvent contribuer au déclin cognitif.
En 2020, une étude coréenne de grande ampleur, publiée dans BMJ Open, a suivi plus de 260 000 adultes pendant dix ans. Résultat : les personnes souffrant de parodontite présentent un risque de démence accru de 22 % par rapport à celles sans maladie gingivale.
Même constat au Japon, où une étude menée par le Dr Masahiro Ide (2016) a observé que la perte de dix dents ou plus augmentait significativement la probabilité de développer la maladie d’Alzheimer. En cause : une inflammation chronique persistante et la circulation de bactéries pathogènes depuis la bouche jusqu’au cerveau.
Ces signaux biologiques sont visibles. À Londres, des chercheurs du King’s College ont analysé des IRM cérébrales et constaté une atrophie accélérée de l’hippocampe – zone clé de la mémoire – chez les personnes atteintes de parodontite.
La raison ? Des enzymes toxiques produites par P. gingivalis, les fameuses gingipaïnes, capables d’endommager les cellules neuronales. Le Dr Sim K. Singhrao, chercheur à l’Université de Central Lancashire, explique :
« Les gingipaïnes de P. gingivalis peuvent cliver la protéine tau, favorisant la formation d’enchevêtrements neurofibrillaires caractéristiques de la maladie d’Alzheimer. » (JAD Reports, 2020)
À la lumière de ces données, une conclusion s’impose : la santé des gencives n’est pas un détail. C’est un marqueur précieux et modifiable du risque de déclin cognitif. Une raison de plus pour ne pas négliger sa bouche.
Santé mentale et hygiène bucco-dentaire : un lien dans les deux sens
Ce que l’on met en évidence aujourd’hui, c’est que la relation entre santé mentale et santé bucco-dentaire ne va pas dans un seul sens. Elle est bidirectionnelle. Autrement dit, l’une influence l’autre — et inversement.
D’un côté, les personnes vivant avec des troubles psychiques comme la dépression, la schizophrénie ou les troubles anxieux sévères ont souvent une hygiène bucco-dentaire dégradée. Les raisons sont multiples : baisse de motivation, repli sur soi, fatigue chronique, mais aussi les effets secondaires de certains traitements (comme la sécheresse buccale liée aux antidépresseurs).
« Les patients souffrant de troubles mentaux graves présentent une mauvaise santé bucco-dentaire significative. Cela contribue à leur exclusion sociale et impacte leur qualité de vie. »
— Dr Nadeem Ghafoor, Centre for Psychiatry, Queen Mary University (British Dental Journal, 2013)
D’un autre côté, une bouche douloureuse, une perte de dents, ou encore une haleine altérée peuvent aggraver l’anxiété sociale, l’isolement, et jusqu’à renforcer les symptômes dépressifs. La douleur buccale chronique est d’ailleurs reconnue comme un facteur de détérioration du bien-être psychique, en particulier chez les personnes âgées.
Et ce n’est pas tout. Chez les seniors, la perte de dents est aussi liée à un moindre plaisir alimentaire, à une réduction de la mastication, et donc à une baisse de stimulation neuronale. Un effet en cascade qui touche directement la mémoire.
« Une mauvaise santé dentaire peut accentuer l’anxiété sociale, l’isolement, voire alimenter la dépression. »
— Dr Wendy Thompson, University of Manchester (Lancet Public Health, 2021)
Dans les établissements de soins comme les EHPAD ou les centres psychiatriques, la prise en compte de l’état bucco-dentaire reste encore trop irrégulière. Faute de formation ou de temps, les équipes passent souvent à côté d’un indicateur précieux du bien-être global.
Pourtant, de simples actions — comme un dépistage systématique, un accompagnement au brossage, ou la mise à disposition de matériel adapté — pourraient éviter bien des complications.
Prévention : des gestes simples aux effets durables
Et si une routine d’hygiène dentaire devenait un véritable acte de prévention neurologique ? C’est aujourd’hui une piste sérieuse, soutenue par les chercheurs et les professionnels de santé. Car la parodontite, bien que silencieuse au début, est évitable dans la majorité des cas.
« L’hygiène dentaire est un levier de prévention méconnu. Des gestes simples, pratiqués régulièrement, peuvent avoir un impact à long terme sur la santé générale, y compris sur le plan cognitif. »
— Dr Christophe Lequart, chirurgien-dentiste et porte-parole de l’UFSBD (Santé Magazine, 2021)
Pour garder des gencives en bonne santé, voici ce que les experts recommandent :
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Se brosser les dents deux fois par jour pendant deux minutes, avec une brosse à poils souples et du dentifrice fluoré.
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Utiliser le fil dentaire ou des brossettes interdentaires chaque soir, pour nettoyer là où la brosse ne passe pas.
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Effectuer un détartrage chez le dentiste tous les six mois à un an.
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Limiter le sucre et arrêter le tabac, deux ennemis majeurs des gencives.
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Boire suffisamment d’eau pour stimuler la salive, qui protège naturellement les tissus buccaux.
Pour les personnes âgées ou dépendantes :
Chez les seniors, notamment en institution, la prévention bucco-dentaire repose souvent sur les aidants. Or, cette dimension est encore trop peu intégrée dans les soins du quotidien.
« Chez les patients âgés ou dépendants, la santé orale est souvent négligée. Pourtant, une infection dentaire chronique peut avoir des conséquences lourdes sur leur état général et leur santé cérébrale. »
— Dr Lucie Thibault, chirurgien-dentiste gériatrique, CHU de Toulouse (Journal de Gériatrie, 2022)
Des solutions pratiques existent : brosses ergonomiques à manche élargi, sprays hydratants pour lutter contre la bouche sèche, et même brossage assisté par le personnel soignant. Ce sont de petits ajustements… qui font une grande différence.
Ce que révèle aujourd’hui la recherche, c’est que la santé bucco-dentaire est bien plus qu’une affaire de dents. Elle est au cœur d’un équilibre global, et peut influencer des fonctions aussi essentielles que la mémoire, l’attention, ou l’humeur. Le lien entre parodontite et Alzheimer n’est plus marginal : il est documenté, biologique, et potentiellement évitable.
Certes, se brosser les dents ne guérit pas les maladies neurodégénératives. Mais réduire les inflammations chroniques, comme celles provoquées par les maladies parodontales, est un geste concret et préventif, accessible à tous.
« Il est temps d’intégrer la santé orale dans notre compréhension globale de la santé cérébrale. C’est un enjeu de prévention majeur. »
— Dr Sim K. Singhrao, chercheur en neurosciences (JAD Reports, 2020)
Cette prise de conscience doit dépasser le cadre du cabinet dentaire. Elle concerne aussi les médecins généralistes, les neurologues, les gériatres, les psychiatres, les aidants et chaque citoyen. Car agir tôt, c’est protéger demain.
Points-clés à retenir :
- La parodontite est une maladie inflammatoire chronique des gencives, souvent silencieuse, mais évitable.
- Des études ont retrouvé des bactéries parodontales, notamment P. gingivalis, dans les cerveaux de patients Alzheimer.
- L’inflammation bucco-dentaire chronique pourrait favoriser les mécanismes neurodégénératifs.
- La santé mentale et buccale sont étroitement liées : chaque trouble peut en aggraver un autre.
- Une hygiène dentaire rigoureuse (brossage, fil dentaire, détartrage) est une mesure de prévention cognitive simple, validée et accessible.
- Les professionnels de santé et les aidants ont un rôle essentiel à jouer pour intégrer cette dimension dans les parcours de soin, surtout chez les personnes âgées.